Sabine Lalande, céramiste, réalisatrice Propos recueillis par Pascale Nobécourt en 2002

 

 

« Colloque entre Plures et Una »

 

 

 

Vous êtes céramiste et travaillez la terre depuis bientôt quinze ans. Quand et comment avez-vous commencé à la « manger » ?

 

Fin 1994. J’étais dans mon atelier. Quand une pièce ne marche pas, je mets la terre dans une lessiveuse. À un moment, j’ai loupé beaucoup de pièces ; la terre augmentait dans la lessiveuse. J’y ai ajouté un peu d’eau, pour qu’elle reste malléable, et puis…je l’ai goûtée

 

 

 

Pourquoi ?

 

Pour voir ce que ça faisait . pour comprendre, pour mieux sentir ; comme quand on aime quelqu’un , on a envie de toucher, de goûter.

 

 

 

C’était bon ?

 

Ni bon ni mauvais. En tout cas, pas étranger comme goût. En travaillant, on goûte forcément, on sent met partout, dans les cheveux, on passe sa main sale sur le visage . C’est comme un enfant dans la peinture.

 

 

 

Quand vous est venue l’idée de filmer et pourquoi ?

 

Instantanément. J’ai senti que j’avais touché quelque chose de profond. C’était le soir, j’ai vidé la bassine sur une planche, je l’ai recouverte d’un linge humide et je me suis débrouillée pour trouver une caméra et quelqu’un pour filmer le lendemain matin ? Cela s’est fait sans calcul.

 

 

 

Pourquoi cette décision ?

 

Parce que le contact hyper direct avec la terre, c’est ce qu’on fait tous ou ce qu’on se dit tous. Je n’ai pas fait que pour les céramistes, je crois que cela parle à tout le monde-c’est un acte premier, comme un enfant qui va téter, comme l’amour. C’est quelque chose de violent mais en même temps d’essentiel, je ne sais pas l’expliquer avec les mots. Je voulais le partager. L’argile est une matière qui compte tellement pour moi, c’était important d’en parler aux autres de cette manière-là.

 

 

 

Comment s’est passée la performance ?

 

Je suis très vite entrée dans un état second dont je ne suis sortie qu’après avoir épuisé le tas de terre à mes côtés. Cela a duré huit heures : je n’ai pas senti le temps passer et je n’étais pas fatiguée. J’essayais d’enfoncer l’argile le plus profond possible dans ma bouche. Pourtant-contrairement à celle qui filmait-, à aucun moment je n’ai eu envie de vomir, à aucun moment, la terre ne m’a dégoûtée. Au fur et à mesure que je déposais les « bouchées » par terre, sans que je m’en rende compte, un dessin s’est crée au sol ; c’était comme des signes, une écriture automatique. Ensuite, toutes les pièces ont été cuites. J’en ai quelques cartons ! Elles peuvent faire l’objet d’une installation. C’est le geste même qui est devenu sculpture.

 

 

 

Le public, pourtant composé essentiellement de céramistes, a réagi très violemment. Certains ont sifflé,d’autres sont sortis. Qu’en pensez-vous ?

 

Je m’y attendais un peu. C’est sans doute la raison pour laquelle mon film a été placé hors compétition, parce que cela dérange… mais c’est aussi ça, le travail de l’artiste : provoquer des réactions. S’il s’agit de montrer ce qui a été déjà brassé dix mille fois, c’est inutile. Il y a eu des gens enthousiastes qui sont venus me voir par la suite pour me dire que cela avait fait ressurgir une émotion profondément enfouie en eux. J’ai aussi entendu quelqu’un dire que c’était « quelque chose » de trop intime, qu’il ne fallait pas montrer. C’est le point sensible. Le film révèle le côté physique de la terre. Quand on la travaille, il arrive qu’on respire fort, on fait des collages avec sa salive : tout cela, c’est très sensuel.

 

 

 

Est-ce que se mélanger ainsi à la terre revient un peu à avoir fait l’amour avec la matière ?

 

Oui, exactement.

 

 

 

 

 

Le festival vous a plu ?

 

J’ai aimé cet éventail qui va de l’entreprise à l’artisan, on apprend plein de choses. Il faut faire venir des écoles car c’est un très bon moyen de faire découvrir la céramique.

 

 

 

Extrait de l’article du magazine Ateliers d’art de juillet août 2002 ci-dessous