Sabine Lalande, un pour tous

 

Texte de Pascale Nobécourt journaliste pour la « Revue de la céramique et du Verre », n° 184 de mai-juin 2012

 

 

Les figures d’enfants de Sabine Lalande, nous rappellent le défi de la perte du pouvoir vital. Sa liberté d’expression n’hésite pas à mêler céramique et textile.

 

 

Ils sont groupés et, groupés, ils sont forts."Nous les humains, on est dur à mourir" disait la vieille chamane en riant. Oh oui, nous sommes durs à mourir, mais quand même, il ne faut pas pousser trop loin. Ils sont debout, ces enfants de toutes les couleurs, solidaires et armés pour se battre. Avec leurs joues rondes, leurs lèvres rouges, leurs yeux bridés ou ronds comme des billes sous leur casque façon Mickey Mouse, leurs jouets et leurs boucliers de pacotille, c'est l'enfance qu'ils défendent. L'enfance littérale d'abord, concrètement bafouée, loin sous les bombes, mais ici aussi tout près, spoliée par les gadgets et les excès d'images; et puis l'enfant en l'homme, l'enfant libre, spontané, jaillissant, dont la trace en l'adulte est toujours signe de vie.

 

À voir l'état du monde on pourrait s'inquiéter de l'issue du combat. Et pourtant ils peuvent tout ces enfants-là. Plantés droits dans leurs bottes multicolores, armés de leurs jouets dérisoires, ils peuvent tout parce qu'ils sont ensemble. .... "Ils viennent de cultures différentes, avec la richesse que cela sous-entend, mais ils ont en commun leurs racines humaines; c'est une invitation au dialogue, au respect, à la tolérance et à cette reconnaissance du même en l'autre. Le monde exerce une grande pression sur les êtres aujourd'hui, l'humain est poussé dans ses retranchements, paradoxalement, cela le rend plus fort, à condition d'être relié aux autres et à la Terre."

 

 

VIDEO, DESSIN, SCULPTURE

 

 

Après avoir débuté par plusieurs performances vidéo dont la remarquée Colloque entre Plures et Una présentée au Steedelijk Museum d’Amsterdam en 1996 (spécialement primée par Miquel Barcelo lors du festival international du film sur l’argile et le verre en 2002 à Montpellier), et une première série de têtes sculptées, Sabine Lalande s’est un temps « reposée » sur la production de pièces utilitaires qu’elle a vendues sur les marchés de potiers. Jusqu’à la création en 2004, de cet ensemble de figures de grès grandeur nature répondant pour elle à « une nécessité intérieure ». Avec « Invincibles », elle rejoint le champ de l’art contemporain. Une pratique picturale de grands dessins fluides sur papier (aquarelles, gouache et encre de Chine) aux couleurs joyeusement explosives a d’ailleurs toujours accompagné et nourri son travail céramique. Une façon souple de tester de nouvelles pistes et idées que ne permet pas la précision exigeante de la terre.

 

Dans la partie atelier de sa maison de Vaux-sur-Seine, chaque pièce correspond à une étape du travail : dessin, façonnage, émaillage et cuisson. En 2008, Sabine Lalande a passé un mois et demi au Japon en résidence à Shigaraki. La ville où l’on fabrique les Tanukis.

 

Elle a exploré le thème de ces blaireaux fantastiques, espiègles et bons vivants, capables de se changer à volonté en homme ou en objet, et qui veillent sur le seuil des maisons japonaises. L’un deux est négligemment allongé, surprenante Olympia, dans la salle de façonnage. Son vêtement décoré de multiples motifs, sa chevelure blonde, de vrais cheveux rajoutés à son chignon d’argile , trahissent le goût jubilatoire de la céramiste pour tout ce qui a trait au costume et au maquillage, le tout servi par une large palette d’émaux de petit feu créée pas ses soins et apposés sur une couverte blanche.

 

 

Aux côtés de Yamanba, Tanuki débonnaire, se tiennent plusieurs Chupas, figures hybrides et excentriques elles aussi. Fruits du dernier travail en cours, elles sont cependant empreintes d’une gravité nouvelle que n’atténue pas leur titre parfois loufoque ( Particule du mouton, Souhait du Gourou glacé…) Surgies d’une ligne du temps où se télescoperaient d’anciens rites fétichistes et quelque fête techno animée de super-héros customisés à la façon des lolitas gothiques, ces sculptures nous content avec force le désir de ré-enchantement d’une humanité de plus en plus comprimée. Leurs mains, de tailles disproportionnées, sont ouvertes en offrande. Comme chez le Finlandais Simonsson, c’est l’enfant qui porte de message. Est-ce parce qu’en nos contrées, c’est en lui que la vie reste la plus visible ?

 

 

Toutes les sculptures sont montées en paroi par ajouts successifs de matière sur des formes types estampées à la plaque dans des moules. D’où l’unité perceptible sous la diversité des parures de chacune. Ici encore, des éléments textiles enrichissent de leur souplesse la matière céramique.

 

 

Sabine Lalande transmet la céramique au lycée Auguste Renoir à Paris. À ses étudiants, elle enseigne surtout « à lâcher prise pour rejoindre le cours libre du torrent. Car l’excès de rationnel vous dépose sur la rive où l’on dessèche et où l’on disparaît. »